KBIS pour infirmière libérale : est-ce nécessaire ?

L’exercice de la profession d’infirmière libérale soulève de nombreuses questions juridiques et administratives. Parmi elles, la nécessité d’obtenir un extrait KBIS divise souvent les professionnels de santé. Cette interrogation n’est pas anodine car elle touche au cœur même du statut juridique de ces praticiens et de leurs obligations légales. Entre profession libérale réglementée et activité commerciale, la frontière peut parfois sembler floue, particulièrement lorsque l’infirmier diversifie ses activités ou développe des prestations annexes à ses soins traditionnels.

La complexité de cette question s’accentue avec l’évolution du paysage sanitaire français. Les infirmiers libéraux exercent aujourd’hui des missions de plus en plus variées, allant des soins à domicile traditionnels à la coordination de parcours de soins, en passant par la formation et le conseil. Cette diversification des activités interroge directement sur l’applicabilité du régime commercial et, par extension, sur la nécessité d’une immatriculation au Registre du Commerce et des Sociétés.

Définition juridique du KBIS et périmètre d’application pour les professions libérales de santé

L’extrait KBIS constitue la véritable carte d’identité d’une entreprise commerciale. Ce document officiel, délivré par le greffe du tribunal de commerce, atteste de l’immatriculation d’une société ou d’un commerçant au Registre du Commerce et des Sociétés. Il recense l’ensemble des informations légales relatives à l’entreprise : dénomination sociale, forme juridique, capital social, adresse du siège, identité des dirigeants, ainsi que l’activité exercée selon le code APE attribué par l’INSEE.

Pour les professions libérales de santé, la question de l’obtention du KBIS revêt une dimension particulière. Le Code de commerce définit précisément les activités relevant du régime commercial, excluant traditionnellement les professions libérales réglementées. Ces dernières relèvent davantage de l’article 29 de la loi du 2 janvier 1970, qui organise les professions libérales autour de prestations intellectuelles et de services de nature civile.

Néanmoins, la frontière entre activité libérale et commerciale tend à s’estomper dans certains cas spécifiques. Lorsqu’une infirmière libérale exerce des activités dépassant le cadre strict des soins infirmiers définis par son référentiel professionnel, elle peut basculer dans le champ d’application du droit commercial. Cette situation nécessite alors une analyse approfondie de chaque activité exercée pour déterminer sa nature juridique exacte.

La qualification d’une activité comme commerciale ou libérale dépend essentiellement de sa nature intrinsèque et des conditions de son exercice, indépendamment du statut initial du professionnel.

Statut juridique de l’infirmière libérale : profession libérale réglementée vs activité commerciale

Classification selon le code de commerce et l’article L4311-1 du code de la santé publique

L’article L4311-1 du Code de la santé publique définit clairement les missions de l’infirmier. Il précise que l’exercice de la profession d’infirmier ou d’infirmière comporte l’analyse, l’organisation, la réalisation de soins infirmiers et leur évaluation . Cette définition légale ancre fermement la profession dans le champ des activités libérales réglementées, caractérisées par leur dimension intellectuelle et leur finalité thérapeutique.

Le Code de commerce, quant à lui, énumère les actes de commerce par nature dans ses articles L110-1 et L110-2. Ces dispositions visent principalement les activités d’achat pour revente, les opérations bancaires, les transports et certaines prestations de services à caractère spéculatif. Les soins infirmiers, par leur nature même, échappent à cette qualification commerciale car ils ne présentent pas de caractère spéculatif ni d’intention lucrative au sens strict.

Distinction entre actes de soins infirmiers et prestations commerciales annexes

La complexité surgit lorsque l’infirmière libérale développe des activités périphériques à ses missions de soins. La vente de matériel médical, la formation de personnel soignant ou les prestations de conseil en établissements de santé peuvent potentiellement relever du régime commercial. Cette distinction requiert une analyse au cas par cas, tenant compte de l’ampleur, de la régularité et de la nature de ces activités complémentaires.

Les tribunaux considèrent généralement que les activités accessoires demeurent civiles si elles restent marginales par rapport à l’activité principale de soins. Cependant, dès lors qu’elles acquièrent une importance significative ou génèrent des revenus substantiels, elles peuvent faire basculer l’ensemble de l’activité vers le régime commercial.

Jurisprudence de la cour de cassation sur le statut des professionnels de santé libéraux

La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser les contours du statut des professionnels de santé libéraux dans plusieurs arrêts de principe. Elle rappelle constamment que la nature libérale d’une profession se caractérise par l’indépendance dans l’exercice , la prédominance de l’activité intellectuelle sur l’activité manuelle, et l’absence de subordination juridique.

Un arrêt notable de la Chambre commerciale du 12 juillet 2005 a confirmé qu’un professionnel de santé conserve son statut libéral même lorsqu’il exerce des activités connexes, pourvu que ces dernières demeurent accessoires à son activité principale. Cette jurisprudence offre une certaine sécurité juridique aux infirmiers libéraux qui diversifient modérément leurs prestations.

Impact de la loi macron 2015 sur les professions réglementées

La loi Macron du 6 août 2015 a introduit des modifications significatives concernant l’exercice des professions réglementées. Elle a notamment assoupli certaines règles déontologiques et facilité la création de sociétés pluriprofessionnelles. Ces évolutions ont indirectement questionné le statut traditionnel des professions libérales de santé, sans pour autant remettre en cause leur nature fondamentalement civile.

Cette réforme a également renforcé les obligations de transparence et d’information des professionnels libéraux, rapprochant certaines de leurs obligations de celles des commerçants. Toutefois, elle n’a pas modifié les critères de distinction entre activité libérale et commerciale, maintenant le principe selon lequel la nature de l’activité prime sur ses modalités d’exercice.

Obligations d’immatriculation RCS selon les activités exercées par l’infirmier libéral

Vente de matériel médical et dispositifs médicaux stériles

La commercialisation de matériel médical par une infirmière libérale constitue l’un des cas les plus problématiques en termes de qualification juridique. Lorsque cette activité dépasse le simple conseil ou la fourniture occasionnelle liée aux soins, elle peut être requalifiée en acte de commerce. La vente pour revente , caractéristique de l’activité commerciale, se matérialise dès lors que l’infirmier acquiert du matériel dans l’intention de le revendre avec une marge bénéficiaire.

Les dispositifs médicaux stériles font l’objet d’une réglementation particulière. Leur distribution nécessite souvent des autorisations spécifiques et peut imposer une immatriculation au RCS. Cette obligation devient incontournable lorsque l’activité de distribution devient régulière et organisée, dépassant le cadre des besoins immédiats des patients suivis.

Formation continue et prestations de conseil en établissements de santé

Les activités de formation dispensées par les infirmiers libéraux auprès d’établissements de santé ou de confrères soulèvent également des interrogations. Si la transmission de connaissances professionnelles s’inscrit naturellement dans le prolongement de l’exercice libéral, sa commercialisation systématique peut faire basculer vers le régime commercial. Le critère déterminant réside dans l’ organisation entrepreneuriale de cette activité : supports marketing, prospection commerciale, standardisation des prestations.

Les prestations de conseil en organisation des soins ou en qualité sanitaire constituent un autre domaine sensible. Ces missions, souvent facturées à des tarifs élevés et récurrentes, peuvent caractériser une activité commerciale si elles s’accompagnent d’une démarche de démarchage ou de développement commercial structuré.

Activités de coordination de soins et télémédecine

Le développement de la télémédecine et des plateformes de coordination de soins interroge directement sur la nature juridique de ces nouvelles activités. Lorsqu’une infirmière libérale développe une plateforme numérique de coordination ou propose des services de téléconsultation, elle peut franchir la frontière vers l’activité commerciale. L’utilisation d’outils technologiques sophistiqués et la facturation de services dématérialisés rapprochent ces prestations du secteur des services commerciaux.

La question se complexifie avec l’émergence des objets connectés de santé et des applications mobiles. Leur commercialisation ou leur mise à disposition contre rémunération constitue manifestement une activité commerciale, nécessitant une immatriculation au RCS.

Partenariats avec les pharmacies d’officine et laboratoires d’analyses

Les collaborations entre infirmiers libéraux et pharmacies d’officine peuvent générer des revenus commissionnels susceptibles de requalification commerciale. Ces rétrocommissions ou avantages financiers liés à l’orientation de patients vers des partenaires commerciaux s’apparentent à des activités d’intermédiation commercial.

De même, les partenariats avec des laboratoires d’analyses médicales, lorsqu’ils impliquent des contreparties financières dépassant la simple rémunération du prélèvement, peuvent constituer des actes de commerce. Cette situation nécessite une vigilance particulière car elle peut compromettre le statut libéral de l’ensemble de l’activité professionnelle.

Procédure d’obtention du KBIS pour les infirmières libérales concernées

Dépôt de dossier au greffe du tribunal de commerce compétent

Lorsqu’une infirmière libérale détermine que ses activités nécessitent une immatriculation au RCS, elle doit constituer un dossier complet auprès du greffe du tribunal de commerce territorialement compétent. Cette démarche s’effectue désormais exclusivement par voie dématérialisée via le guichet unique électronique géré par l’INPI. Le tribunal compétent est celui du lieu d’établissement principal de l’activité commerciale, qui peut différer du domicile professionnel déclaré pour l’activité libérale.

La procédure débute par la création d’un compte utilisateur sur la plateforme officielle. L’infirmière doit ensuite renseigner un formulaire détaillé précisant la nature exacte de ses activités commerciales, leur date de commencement effectif, et les modalités d’exercice envisagées. Cette étape requiert une qualification précise des activités pour obtenir le code APE approprié.

Documents requis : statuts, justificatifs d’identité et diplôme d’état

Le dossier d’immatriculation comprend plusieurs pièces justificatives obligatoires. L’infirmière doit fournir une copie de sa pièce d’identité en cours de validité, un justificatif de domiciliation de l’activité commerciale, ainsi qu’une attestation de non-condamnation pénale datant de moins de trois mois. Le diplôme d’État d’infirmier doit également être joint pour attester de la qualification professionnelle.

Si l’activité s’exerce sous forme sociétaire, les statuts signés et paraphés constituent une pièce centrale du dossier. Ces documents doivent préciser l’objet social, mentionner explicitement les activités commerciales envisagées, et respecter les dispositions légales relatives aux sociétés d’exercice libéral lorsque l’activité libérale demeure prépondérante.

Déclaration d’activité auprès de l’URSSAF et régime fiscal BNC vs BIC

L’immatriculation au RCS entraîne automatiquement un changement de régime fiscal pour les revenus commerciaux. Ces derniers relèvent désormais des Bénéfices Industriels et Commerciaux (BIC) et non plus des Bénéfices Non Commerciaux (BNC). Cette modification implique des obligations comptables renforcées et des modalités de calcul de l’impôt différentes. Les charges déductibles et les amortissements suivent également des règles spécifiques au régime BIC.

La déclaration auprès de l’URSSAF doit être actualisée pour tenir compte de cette mixité d’activités . L’infirmière relève alors de deux régimes distincts : le régime libéral pour ses activités de soins et le régime commercial pour ses autres activités. Cette situation nécessite une comptabilité séparée et des déclarations fiscales et sociales distinctes.

Délais d’obtention et coûts administratifs

Les délais d’obtention du KBIS varient selon la complexité du dossier et la période de dépôt. En moyenne, comptez entre 7 et 15 jours ouvrables pour une demande complète et conforme. Ce délai peut s’allonger en cas de pièces manquantes ou de demandes de compléments d’information de la part du greffe.

Les coûts administratifs comprennent les frais de greffe, actuellement fixés à 37,45 euros pour une immatriculation en nom propre et variables selon la forme sociétaire choisie. S’ajoutent les frais de publication dans un journal d’annonces légales, obligatoire pour certaines formes juridiques. Ces coûts peuvent rapidement atteindre plusieurs centaines d’euros, notamment en cas d’assistance par un professionnel du droit.

Alternatives au KBIS : inscription URSSAF et déclaration d’activité libérale

Pour la majorité des infirmiers libéraux exerçant exclusivement des activités de soins, l’inscription à l’URSSAF demeure la démarche de référence.

Cette inscription confère un statut d’entrepreneur individuel au titre de l’activité libérale, avec attribution d’un numéro SIRET et d’un code APE correspondant aux soins infirmiers. Le document de référence devient alors l’avis de situation SIRENE, disponible gratuitement sur le site de l’INSEE, qui remplit les mêmes fonctions probatoires que le KBIS pour les besoins courants.

L’avis de situation SIRENE présente l’avantage d’être immédiatement disponible et régulièrement mis à jour. Il mentionne les informations essentielles : dénomination, adresse d’exercice, activité déclarée, date de début d’activité, et situation administrative. Ce document suffit généralement pour les démarches bancaires, les contrats d’assurance, ou les relations avec les partenaires institutionnels comme les CPAM ou les établissements de santé.

La déclaration d’activité libérale s’accompagne également de l’inscription à l’Ordre national des infirmiers, devenue obligatoire depuis 2016. Cette inscription génère un numéro d’enregistrement spécifique qui atteste de la régularité de l’exercice professionnel. Ce numéro, couplé au numéro ADELI ou RPPS délivré par l’ARS, constitue une identification professionnelle suffisante pour la plupart des démarches administratives.

L’inscription URSSAF demeure la voie privilégiée pour 95% des infirmiers libéraux, leurs activités s’inscrivant naturellement dans le champ des professions libérales réglementées.

Conséquences pratiques de l’absence de KBIS sur l’exercice professionnel

L’absence de KBIS peut parfois créer des difficultés pratiques dans certaines démarches administratives ou commerciales. Quelques organismes ou partenaires, par méconnaissance du statut libéral, peuvent exiger systématiquement ce document. Cette situation nécessite alors une démarche pédagogique pour expliquer la spécificité du statut professionnel et présenter les documents alternatifs appropriés.

Les relations bancaires constituent le premier domaine où cette problématique peut surgir. Certains conseillers bancaires, peu familiers des professions libérales de santé, peuvent insister sur l’obtention d’un KBIS pour l’ouverture d’un compte professionnel. Dans ce cas, l’avis de situation SIRENE, accompagné de l’attestation d’inscription à l’Ordre des infirmiers et du numéro RPPS, devrait suffire à démontrer la régularité de l’activité professionnelle.

Les appels d’offres publics représentent un autre domaine sensible. Bien que les textes réglementaires prévoient des alternatives au KBIS pour les professions libérales, certains acheteurs publics peuvent maintenir cette exigence dans leurs cahiers des charges. Cette situation justifie parfois une demande de clarification auprès du pouvoir adjudicateur ou, le cas échéant, un recours devant les instances compétentes.

L’obtention de financements ou de subventions peut également être compliquée par l’absence de KBIS. Les organismes prêteurs ou les institutions publiques habituées aux entreprises commerciales peuvent méconnaître les spécificités du statut libéral. Cette difficulté se résout généralement par la présentation d’un dossier complet incluant tous les justificatifs d’activité et d’inscription professionnelle, accompagné d’une note explicative sur le statut juridique de la profession infirmière.

Dans le domaine des partenariats professionnels, l’absence de KBIS peut susciter des interrogations de la part de potentiels collaborateurs issus du secteur commercial. Les entreprises de matériel médical, les laboratoires d’analyses, ou les plateformes de services numériques peuvent exiger ce document par automatisme. Une communication claire sur le statut professionnel et la présentation des documents équivalents permettent généralement de lever ces obstacles.

Il convient également de noter que l’évolution réglementaire tend vers une simplification des démarches administratives. Le principe du « Dites-le nous une fois » et l’interconnexion progressive des systèmes d’information publics réduisent mécaniquement les situations où un KBIS pourrait être exigé à tort. Les bases de données SIRENE, accessibles en temps réel, permettent aux administrations de vérifier directement l’existence et la régularité d’une activité professionnelle.

Enfin, les conséquences fiscales et sociales de l’absence de KBIS sont généralement positives pour les infirmiers libéraux. Le maintien dans le régime des professions libérales préserve l’application des BNC, souvent plus favorable que le régime BIC, et évite les obligations comptables lourdes du secteur commercial. Cette situation permet une gestion administrative simplifiée, plus adaptée à l’exercice traditionnel de la profession infirmière libérale.

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